LE PACTOLE

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LE PACTOLE
NOUVELLE FANTASTIQUE

LE PACTOLE

 

 

 

 

 

Ecrit par Ludovic Coué le 12 novembre 2018

 

 

 

PIZARRO

 

Avez-vous déjà entendu parler du gang de Pizarro ? Non ? Pizarro l’élégant ? Non, vraiment pas ?

Eh bien, Pizarro est italien. C’est le chef d’un gang spécialisé dans l’attaque des banques. Attention, quand il  opère, c’est toujours de nuit, soit le dimanche ou un jour férié, alors que la banque est déserte. Il n’a jamais tiré un seul coup de feu.

Personne ne connait son visage ni sa véritable identité. C’est à cause de cette particularité qu’on le surnomme l’élégant. Et son gang est appelé « la Piz' » car à chaque attaque, une carte postale représentant le Piz Bernina (pic montagneux) est retrouvée sur les lieux du méfait. Toujours la même carte, barrée d’une flèche. Une signature destinée plus au milieu qu’à quiconque. Et puis, à quoi bon exceller dans son domaine si personne ne le sait. Donc, les gens comme les journalistes ont appelé ce gang Piz et leur chef Pizarro (Piz-arrow)

Dans le milieu comme parmi la population italienne, Pizarro passe pour un super-héros; une tête; il incarne le parfait bandit qui mène son gang au succès sans tuer ni blesser personne. Un mythe ! Un nouveau Robin des bois qui ne s’en prend qu’aux banques.

La police ne connait que son surnom. Aucun visage à mettre là-dessus.

Il y a un an de cela, la Piz’ a remporté le pactole ; le super gros lot : quarante-cinq millions d’euros prélevés dans les coffres de la banque centrale italienne : la Bankitalia, à Rome, dans le palais Koch. Un dimanche, vers trois heures du matin, en passant par les égouts. Pizarro savait que les coffres étaient pleins, mais ignorait qu’ils l’étaient à ce point…

 

De nature prudente et intelligente, Pizarro a toujours expédié son butin loin de chez  lui et de son rayon d’action, à chaque fois dans différents véhicules bas de gamme et d’occasion conduits pas ses lieutenants, dans le Piémont, à Chianale. Il  estime depuis ce coup que sa fortune s’élève à cent cinquante millions d’euros. La Bankitalia était son dernier coup et bientôt, le gang va pouvoir se partager le butin, se dissoudre et ses membres vont se séparer, disparaître pour entamer une nouvelle vie dans l’anonymat et le luxe. Bientôt… Il s’agit de faire encore preuve de patience… Plus que six mois à attendre.

 

 

ALESSANDRO et GINO

 

Chianale est un petit village, un hameau perché à mille huit cent mètres d’altitude sur les hauteurs de Pontechianale, coupé en deux par une rivière: la Varaita. Il se situe aussi près du col d’Agnel près de la frontière française. Les constructions ressemblent à des chalets en pierre grise apparente et en bois. Un joli village de montagne typique.

 

Dans ce village, la population vit paisiblement. De même qu’Alessandro Masoni et Gino Campana. Deux amis d’enfance devenus ennemis suite à une divergence de vues…

 

Dans les années quatre-vingt, Gino et Alessandro avaient quitté leur village pour gagner la ville de Turin et, faute de savoir-faire et de connaissances, vivre de rapines, de petits braquages et d’escroqueries en tous genres.

Alessandro était le cerveau qui imaginait et préparait les « affaires » et Gino les jambes, ou plutôt les bras qui distribuait facilement les coups quand les victimes tentaient de résister ou ne s’activaient pas assez rapidement.

 

Leur association aura duré deux ans. Alessandro avait rapidement compris que le tempérament impulsif et le comportement brutal de son ami leur vaudraient un jour les pires ennuis.

Il avait donc décidé d’arrêter de vivre ainsi et était rentré dans son village. Il avait sérieusement repris ses études, avait décroché un diplôme et monté une affaire qui allait faire sa fortune.

 

Gino, lui, était resté à Turin et s’était acoquiné à d’autres voyous. Six mois plus tard, il se retrouvait à l’ombre derrière les barreaux pour une période de dix-huit mois.

 

A sa libération, il était retourné dans son village et avait appris la réussite de son ancien complice et ça l’avait rendu jaloux à un point tel qu’il le rendait responsable de tous ses malheurs passés, présents et à venir.

 

A Chianale, tout le monde savait que Gino et Alessandro étaient fâchés, à couteaux tirés et que Gino, régulièrement, tentait de nuire à son ancien ami.

 

Au décès de ses parents, Gino a hérité de la maison familiale située un peu à l’écart du village. Il s’était alors improvisé guide touristique et emmenait les visiteurs découvrir les marmottes et les différents points de vue intéressants. Ça marchait plutôt bien l’été.

 

Alessandro, lui, poursuivait son ascension. Il avait acheté un terrain et y avait fait construire une superbe maison. Le nom de Masoni commençait à bénéficier d’une belle renommée, les affaires étant florissantes dans la vente de voitures de luxe. Il était propriétaire d’une concession à Turin de la marque au trident.

 

Régulièrement, Alessandro recevait une citation à comparaître suite à une plainte déposée par Gino pour des raisons diverses et variées.

Gino avait bien tenté de discuter avec Alessandro pour enterrer cette hache de guerre mais avait reçu une fin de non recevoir. Tout le village était au courant du contentieux et de ses épisodes successifs.

 

 

 

PIZARRO vs GINO

 

Les convois des voitures en provenance de Rome qui arrivaient régulièrement dans le village pour se garer dans la ferme isolée, non loin de la maison de Gino n’avaient jamais attiré l’attention de quiconque. Un villageois était payé tous les mois pour entretenir la propriété et approvisionner le frigo sur appel téléphonique avant chaque cortège. Cela fonctionnait ainsi depuis des années.

 

 

Quand six mois plus tard, en fin de soirée, un nouveau convoi est arrivé à la vieille ferme, les véhicules étaient plus nombreux et plus gros. Les gars qui en sont descendus portaient des sacs vides et des grandes malles.

 

Rapidement, un des gars est ressorti un téléphone portable collé à l’oreille. Il faisait de grands gestes de sa main libre qui semblait tenir un bout de papier.

Quand il a raccroché, il a regardé dans toutes les directions en s’attardant sur la maison de Gino.

 

Quatre heures plus tard, Une grosse berline noire arrivait en trombe à la ferme. Trois types en sont d’abord sortis, puis un quatrième, en manteau. Il est calmement entré dans la ferme.

Quand il en est ressorti quelques minutes plus tard, il a appelé de son téléphone portable.

Le villageois qui était en charge de l’entretien a bientôt accouru.

Il est réapparu vingt minutes plus tard, et s’est hâté de rentrer chez lui.

 

 

On a frappé à la porte de Gino. Il était deux heures du matin et après avoir allumé la lampe du plafond, il a ouvert la porte et un homme en costume bleu d’excellente coupe, un manteau posé sur les épaules est resté un instant à

le contempler. Il y avait du monde derrière lui…

 

_ Oui ? Qu’est-ce qui se passe ? C’est pourquoi ? Z’êtes perdus ? En panne ? Un accident ?

 

_ Non. Rien de tout ça. J’aimerais juste discuter un peu avec vous. Vous poser quelques questions.

 

_ Bordel ! Il est deux heures du mat ! Qu’est-ce qui vous prend de réveiller les gens comme ça ? Vous êtes flic ? J’ai payé ma dette et je n’ai pas fait de conneries depuis ! Je suis guide touristique maintenant.

 

Le visiteur sourit et pose son index ganté de noir sur le plexus solaire de Gino et appuie doucement et de plus en plus fort pour l’obliger à reculer dans la pièce.

 

_ Non, ne craignez rien. Nous ne sommes pas de la police.

Voyez-vous, il se trouve que je suis le propriétaire de la ferme dont le terrain est contigu au vôtre. J’imagine que de votre fenêtre, on peut l’apercevoir ? Oui ! On l’aperçoit. Dites donc, on a une jolie vue d’ici !

 

_ Si vous venez vous plaindre à cause des types qui sont venus le mois denier,  moi, je n’ai vu que des grosses berlines arriver et puis après, il y a eu du grabuge là-bas. Comme si on cassait tout là-dedans. C’est tout ce que je sais…

 

_ Des grosses berlines, vraiment ?

 

_ Ouais. Quatre. Noires. Des AUDI il me semble. A cause des anneaux à l’arrière. Je les ai vues arriver et après, plus rien jusqu’à ce qu’ils repartent car ils avaient éteint les phares… Vous avez forcément une assurance ? Pour les dégâts, n’est-ce pas ?

 

_ Ferme-là ! Fouillez la baraque ! L’appentis et l’abri à bois aussi. Assieds-toi… Ton nom, c’est bien Gino ?

 

_ Gi… Gino Campana…

 

_ Ah la la ! Gino… ça me navre de devoir en arriver à de telles extrémités, mais tu dois bien comprendre que je ne suis pas le genre de type à qui on peut impunément raconter des salades.

 

_ Mais… Je…

 

Une gifle retentissante s’abat sur la face de Gino.

 

_ Tais-toi ! Et ne parle que pour répondre à mes questions ! Que faisais-tu chez moi il y a de ça deux mois ?

_ Je… Je ne suis jamais allé chez vous ! Je n’y ai jamais mis les pieds…

 

_ Rico ?

 

Rico lève ses sourcils broussailleux, s’avance, énorme, musculeux et décoche un violent coup de poing sur la pommette de Gino. La pommette éclate sous le coup. Et un deuxième lui fend la lèvre.

 

_ Gino ! Gino…Gino… Je sais parfaitement que tu y es allé. Mon employé me l’a dit. Alors, inutile de me mentir. Quelqu’un m’a pris quelque chose. Une chose à laquelle je tiens vraiment. Cette chose si importante, je crois que tu me l’as volée. Je sais aussi que tu es un voleur. Moi-même, je suis un voleur.

Je peux comprendre tes motivations et tu peux comprendre les miennes. Ne m’oblige pas à aller plus loin Gino, mon cher confrère. Tu peux encore t’en sortir sans grands dégâts.

 

Gino réfléchit à cent à l’heure. Comment cet abruti aurait-il pu me voir ? Il était chez lui quand on y est allés. Il était quatre heures du matin, on était cagoulés et on avait de minuscules torches pour passer inaperçus. Et on était deux et ça il ne le sait pas. Merde ! C’est quoi cette embrouille ? Alessandro, si tu pouvais venir m’aider maintenant…

 

Soudain, dehors, des cris se font entendre et des détonations claquent autour de la maison. D’autres répondent immédiatement. Un des hommes de Pizarro entre précipitamment dans la maison, ensanglanté : Les flics patron ! Des flics partout ! On est coincés !

 

Pizarro reste un moment à contempler Gino : C’est toi qui les as prévenus ?

 

_ Non. Suis pas au courant… Je ne sais rien du tout. Je vous jure !

 

Pizarro cogitait. Il se demandait si cette histoire d’AUDI n’était pas un mensonge ? Si ce Gino disait vrai ? Il ne connaissait qu’un seul gang à collectionner les AUDI : Celui de Franchetti ! Ce salopard l’avait volé et il le livrait à la police ! C’est ce qui s’appelle se faire baiser dans les grandes largeurs…

 

De puissants spots viennent éclairer l’intérieur de la maison à travers les fenêtres et un mégaphone se met à hurler : Pizarro ! Sors de là les mains en l’air ! La maison est entièrement cernée ! C’est fini ! Si tu sors sans arme, tu ne risques rien !

 

Pizarro n’étant pas suicidaire, il a d’abord poussé Gino vers la sortie. Les policiers l’ont intercepté avec rudesse et il s’est retrouvé  à genoux, les menottes dans le dos.

Constatant que la police ne tirait pas, Pizarro est sorti les mains en l’air avec ses complices.

 

Un peu plus loin, Alessandro avait suivi, inquiet, la tournure des événements et se félicitait de constater que Gino était sauf. Son plan marchait…

 

 

 

LE PLAN D’ALESSANDRO

 

Si personne n’avait jamais remarqué ces ombres qui, discrètement, toujours tard le soir, à la nuit tombée, entraient dans la vieille ferme pour en repartir quelques heures plus tard, ce petit manège n’avait pas échappé à Gino… Il les avait aperçus de sa fenêtre, un soir, par hasard.

 

 

Les gens du village auraient été absolument stupéfaits d’apprendre que la fâcherie entre Gino et Alessandro n’avait pas duré bien longtemps en réalité et qu’ils entretenaient cette illusion à dessein.

En effet, régulièrement, les deux hommes quittaient séparément le village pour se retrouver à Turin et y mener des affaires illégales comme par exemple, cambrioler la propre concession automobile d’Alessandro pour que ce dernier puisse  toucher la prime d’assurance et revendre au noir les prestigieuses voitures… Gino touchait sa part, évidemment, participant aux bénéfices qu’engrangeait à chaque opération Alessandro. Leur nouvelle association les rendait riches et Gino avait fini par comprendre qu’il devait suivre à la lettre les instructions de son ami.

Gino avait donc informé Alessandro que des convois nocturnes  aboutissaient régulièrement dans la vieille ferme et que ça l’intriguait.

Il avait alors précisé que les hommes qui descendaient des voitures portaient de grands sacs noirs pleins.

Quand ils repartaient, les sacs étaient vides.

Il avait aussi confié qu’il avait eu la présence d’esprit de cocher les dates de ces visites nocturnes sur son calendrier.

La dernière fois, la veille, les sacs étaient beaucoup plus nombreux que d’habitude.

 

Alessandro avait pressenti que Gino avait flairé-là quelque chose de gros, d’énorme ! Il avait  noté les dates et ensuite avait mené des recherches sur le Net, dans les différents journaux italiens en rubrique « faits divers ». Rapidement, il avait remarqué que ces visites coïncidaient toujours au lendemain d’une attaque de banque. Etrange, non ? Attaques signées Pizarro !

La dernière en date étant celle de la Bankitalia où le butin s’élevait à quarante-cinq millions… En reprenant les divers casses attribués à Pizarro, il avait estimé que le mafieux avait engrangé une fortune colossale ! De quoi vous donner le tournis. et qu’elle se trouvait probablement cachée dans la ferme. C’était un très gros coup ! Peut-être le dernier  de Pizarro ? Pizarro… Du gros gibier ! Très gros ! Trop gros ? Non. Pas si…

 

Alessandro avait alors élaboré un plan pour s’emparer de toute cette fortune à portée de main… Mais le prix allait s’avérer élevé et risqué…. Et Gino devait servir d’appât. Pas d’autre moyen pour que tout se passe bien.

Il y avait réfléchi toute la nuit, retourné le problème dans tous les sens, échafaudé des scénarii plus ou moins réalistes et fini par accepter l’idée.

 

Avec Gino, ils étaient allés en pleine nuit chercher l’argent dans la ferme, l’avaient rapidement trouvé sous le plancher en bois, emballé dans de grands sacs en plastique transparent et fermés hermétiquement. Ils ont tout rapporté chez lui, dans sa cave en cinq voyages pénibles. Une telle somme, ça fait du volume et du poids ! Après une telle corvée, les deux hommes étaient épuisés et, quand après avoir repris leur souffle, Gino avait demandé comment ça se passerait quand les propriétaires du magot reviendraient pour le récupérer. Il pensait qu’il valait peut-être mieux prendre le large immédiatement pour un moment… Loin, très loin.  Alessandro lui avait alors expliqué son plan. Plutôt de partir et devenir les suspects numéros un, Il fallait au contraire mettre Pizarro en rogne et le diriger sur Gino. Il allait bientôt prévenir la police qu’il avait trouvé la planque de Pizarro et qu’il savait comment le leur livrer. La police devrait s’installer à proximité du village, discrètement et attendre que les mafieux viennent récupérer l’argent.

Au moment où ces derniers arriveraient, il alerterait la police pour qu’elle intervienne rapidement quand Pizarro serait dans sa maison.

Gino avait réfléchi un temps puis avait accepté l’idée. A partir du moment où elle venait de son ami, c’était forcément une sacrée bonne idée… Mais pourquoi ne pas envoyer la police directement à la ferme ? Alessandro lui avait alors expliqué que la topographie de la ferme permettrait aux mafieux de s’échapper, alors que sa maison serait une véritable souricière. Ils deviendraient des héros. La police serait bien trop contente de sa vanter d’un tel coup de filet !

 

Sur le papier qu’avait laissé Alessandro sous le plancher, il y avait écrit : Pizarro, tu l’as dans le cul, turlututu, chapeau pointu !

 

 

Quelques jours après avoir visité la ferme, sur les instructions d’Alessandro, Gino avait, un soir, au détour d’une ruelle, suivi le commis de Pizarro, l’avait fortement secoué et lui avait, chuchoté dans les oreilles : Ecoute-moi bien gros connard ! Je sais que tu m’as vu entrer dans la ferme l’autre soir… Si. Je le sais. Alors, tu vas fermer ta grande gueule, sinon tu vas savoir de quoi je suis capable, moi, Gino Campana et tu ne vas pas aimer ça… mais alors, pas du tout ! Compris ?

_ Oui…Oui  Gino. Compris.

_ Va bene. Ça vaut mieux pour toi et ta famille.

 

 

 

 

Dans la presse de ce matin, Alessandro et Gino ont lu en gros titres à la une de La Repubblica et de la Stampa :

PIZARRO SOUS LESVERROUS ! QUARANTE-CINQ MILLIONS D’EUROS RECUPERES ! La police se félicite d’avoir remporté un tel succès. Parmi les personnes interpelées se trouve Pizarro. Pour l’instant, on ne sait pas de qui il s’agit. Les policiers poursuivent leurs investigations au domicile des prévenus…

Et aussi un peu plus loin : REGLEMENT DE COMPTE A ROME ! On y apprend que la villa Franchetti a été attaquée à l’arme lourde. Plusieurs morts et de nombreux blessés sont à déplorer. On ignore qui a pu s’en prendre ainsi au roi de la nuit actuellement hospitalisé en réanimation, dans le coma. Les médecins réservent leur pronostic. Les victimes parmi les rangs des attaquants ne sont pas connues des services de police.

 

Alessandro referme son journal, satisfait. Et en se servant une tasse de café, adresse un clin d’œil à Gino qui sourit et conclut par : Les cons !