ROSWELL

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ROSWELL

 

 

 

 

 

 

L’enlèvement.

 

John Kartman goûte une retraite heureuse dans le Connecticut, s’adonnant à ses hobbies préférés : la réalisation de maquettes d’avions et la pratique du golf ; mais plus que ça, il s’occupe de sa famille ; sa femme Mary et ses enfants Kate et Alan qui comptent plus que tout. Et il met un point d’honneur à entretenir lui-même sa maison.

 

Avant de vivre aussi paisiblement, Kartman avait été militaire, officier dans l’armée de l’air et il avait commencé sa carrière militaire en servant un bon moment dans l’état du nouveau Mexique à la fin des années cinquante jusque à la fin des années soixante. Il affiche aujourd’hui quatre-vingt-deux ans « au compteur » comme il aime le dire quand on lui demande son âge, et il est en pleine forme. Du moins, autant qu’on peut l’être à cet âge. Mary a deux ans de moins et souffre d’une santé plus délicate. Mais elle rayonne de joie et fait toujours le bonheur de John.

 

 

Quand ses enfants lui demandent ce qu’il faisait là-bas, dans la zone 51, il répond toujours la même chose en souriant : « Oh, vous savez, le militaires ne font pas grand chose ; mais ils le font de bonne heure… »

Comme tous les matins, John, en pyjama, enveloppé dans sa robe de chambre à carreaux et chaussé de mules en cuir sort de la maison pour récupérer son journal qu’un gamin du quartier a déposé plus tôt à la hâte dans son allée. C’est l’été et le soleil a déjà réchauffé l’air et fait ressortir les couleurs des parterres fleuris que Mary entretient avec minutie. Les oiseaux pépient et les insectes commencent à voleter un peu partout. En se redressant, le regard de John est   subitement attiré par quelque chose d’étrange : une sombre silhouette vient d’apparaître et semble glisser sur le macadam et maintenant, elle ralentit devant son entrée. Il ne distingue pas qui est dans le véhicule, mais l’arc de cercle chromé à l’intérieur du volant qui sert à actionner le klaxon brille de mille feux dans l’habitacle.

Kartman connait bien ce modèle de voiture, une Buick Sedanette de 1949. Une merveille d’automobile avec ses pneus à bande blanche et ses trois ouïes circulaires latérales de chaque côté pour la ventilation du moteur. Les roues arrière à moitié cachées et cette calandre énorme qui lui confère un étrange sourire. Une pièce exceptionnelle de collection. Et quelle ligne… Il n’en a pas vu depuis des lustres ! Il en avait conduit une autrefois, quand il était…

Il se frotte le menton qu’il n’a pas encore rasé ce matin et qui est râpeux comme de la toile émeri. Il sourit devant la beauté de la Buick qui paraît comme neuve, à peine sortie de l’usine. John pense que l’heureux propriétaire d’une telle beauté en aussi bon état l’a remarqué et qu’il ralentit donc pour se montrer, se pavaner.

Son sourire s’efface  quand la Buick s’arrête au bord de sa pelouse, que les portières s’ouvrent et que quatre gaillards sortent simultanément et  rapidement du véhicule, vêtus de costumes noirs et de lunettes de soleil de la même couleur posées sur leur nez.

Surpris, comme tétanisé, John lâche son journal et ne peut émettre aucun son. Même quand les hommes en noir l’empoignent et le traînent jusqu’à la Buick pour l’y propulser sans ménagement, il ne peut pas crier ni se débattre.

Les quatre portières ont toutes claqué et la Buick noire a filé sans attendre sur le bitume. Ainsi disparaît John Kartman, ce matin de juillet, la veille de la fête nationale américaine. Il vient d’être enlevé sous les yeux de Mary qui a assisté à toute la scène, tétanisée elle aussi derrière la fenêtre de la cuisine, alors qu’elle préparait le café pour leur petit déjeuner. Ce qui l’a intriguée, c’est la musique d’un camion de glace qui lui était parvenue aux oreilles. Elle s’était demandé qui pouvait être l’idiot qui espérait vendre des cornets de glace à une heure pareille quand le camion de glace est apparu sur la gauche et  a ralenti pour s’arrêter devant leur entrée. La musique typique sortait de la camionnette avec force. Elle pouvait voir son mari observer le véhicule, son journal à la main. Et puis, quatre hommes vêtus de l’uniforme blanc, coiffés d’un calot en papier blanc sont curieusement sortis de la camionnette pour se précipiter sur John et l’entraîner dans leur véhicule. L’un des vendeurs de glace a planté son regard étrange et intense dans celui de Mary et elle n’a plus pu bouger.

La verseuse toujours dans sa main droite continuait à déverser l’eau dans la cafetière, et quand le réservoir a débordé, le liquide a commencé à couler sur le plan de travail en granite bleu pour s’étaler jusqu’à atteindre le rebord et se déverser au sol sur ses chaussons. Puis, remise de sa surprise, Mary a repris ses esprits, elle a alors senti l’eau couler sur ses pieds et son premier réflexe a été de stopper la cafetière qui n’était pourtant pas allumée ; et quand elle a appuyé sur le bouton rouge, elle s’est brutalement cambrée en serrant si fort ses mâchoires que des dents ont été brisées sous la pression. Sa vessie ainsi que son colon se sont instantanément vidés dans le pyjama en soie beige et son cœur a immédiatement cessé de battre.

 

C’est Kate qui, lasse d’appeler les portables de ses parents et de n’obtenir que l’affreuse invitation du prestataire à laisser un message sur le répondeur au bout de trois sonneries, s’est déplacée en début de soirée après son travail jusqu’au domicile familial et a trouvé sa mère inerte et froide sur le carrelage de la cuisine. Elle a tout de suite  senti cette odeur infecte et atroce. Il n’y avait plus de courant et c’est dans la pénombre qu’elle a deviné le corps de sa mère. Elle s’est précipitée sur elle en criant « Maman ! » Mary tenait encore la verseuse dans sa main droite. Le verre était brisé.

Kate a pris le pouls de sa mère et a réalisé que la vie avait définitivement quitté le corps devenu froid de celle qui lui avait donné le jour et tant œuvré pour qu’elle devienne la femme qu’elle est aujourd’hui. Avec amour, joie et patience.

Elle a hurlé pour appeler son père, en vain. Persuadée qu’il devait se trouver dans la maison lui aussi, raide mort, sans doute assassiné par quelque fumeur de crack en manque d’argent pour se payer sa saloperie de came. Elle a composé le 911 sur son portable et a difficilement sangloté qu’elle venait de trouver ses parents décédés à leur domicile. Elle a indiqué l’adresse et quelques minutes plus tard, les secours sont arrivés. Elle a pensé que la lumière alternative diffusée par les différents gyrophares donnait à la dramatique situation comme un air de fête et c’était horrible.

 

Kate est dévastée, assise comme interdite sur le canapé dans le salon. Elle a laissé un message sur le répondeur du portable de son frère : « Alan…Il est arrivé quelque chose d’horrible… Rejoins-moi chez Maman et Papa ou rappelle-moi… J’ai besoin de toi. »

 

Un jeune policier s’est assis à côté d’elle et lui pose une foule de questions dont elle ne comprend pas le sens. Les paroles du policier semblent sortir de sa bouche comme un flot incongru qu’elle n’arrive pas à déchiffrer ; comme s’il s’exprimait dans une langue étrangère qu’elle n’a pas apprise. Elle a toujours l’affreuse odeur en mémoire et se demande si elle pourra un jour l’oublier. Les dernières images qu’elle aura à tout jamais de sa mère seront celles de ce corps baignant dans son jus et exhalant une telle pestilence. Kate a beau tenter se souvenir du parfum que portait habituellement sa mère, une création française capiteuse que son père adorait. Elle se force à se remémorer ce visage doux et rieur qui aimait l’embrasser et qu’elle avait en adoration.

 

Soudain, elle se lève d’un bond et laisse le policier pantois sur le canapé. D’un pas rapide, elle se dirige en direction du grand buffet, ouvre une des portes vitrées et en ressort une pile d’albums photos qu’elle étale sur la grande table monastère du salon. Le policier tente de se lever pour la rejoindre quand son supérieur pose sa main sur son épaule et lui susurre : « Laisse-lui un peu de temps Gordon. C’est sa mère… Sois compréhensif. »

 

Kate feuillette nerveusement les albums, tentant de mémoriser chaque cliché où apparaît sa mère et chaque photographie lui rappelle un moment heureux en compagnie de ses parents et d’Alan… Elle tente de remplacer l’affreuse image de sa mère gisant sur le sol de la cuisine par un de ces moments où elle apparaît pleine de joie et de vie. Une des photos attire plus particulièrement son regard, et elle soulève délicatement le film plastique de la page et extrait le cliché du bout des ongles. En pleurant silencieusement, elle dépose un baiser sur ce vestige d’un passé heureux et révolu.

Quand son téléphone laisse échapper le refrain du Boss « Born in the USA », sonnerie dédiée à son frère qui détient tous les albums de Bruce Springsteen. Elle décroche nerveusement : « Oh Alan ! Où es-tu ?

— Sur la route ! Que s’est-il passé ? C’est si grave que ça ?

— C’est horrible ! Maman est morte électrocutée et Papa a disparu.

— … Non… Qu’est-ce que tu racontes ? Je les ai eus au téléphone avant-hier soir. Ils allaient bien.

— J’ai trouvé Maman par terre dans la cuisine, Alan. Elle était morte depuis un moment. Elle s’est électrocutée avec la cafetière. Je suis allée chez les parents car ils ne répondaient pas à mes appels. Papa est introuvable. Il a disparu. Mon Dieu ! Comment est-ce possible ? La maison est pleine de policiers qui fouillent partout…

— Tiens le coup Kate, j’arrive dans deux heures. Je fais aussi vite que je peux.

— C’était horrible Alan. Elle était… Mon Dieu, Maman ! Maman… Viens vite Alan. »

 

Après avoir coupé la communication, Kate s’est laissé tomber dans le canapé en sanglots, près du policier qui ne savait plus trop comment se comporter face à cette jeune femme en pleurs.

 

 

Quand John est entré dans le véhicule, il a pris conscience que l’intérieur ne correspondait pas à une Buick. Ça lui rappelait bien quelque chose qu’il connaissait, mais son cerveau s’engourdissait et il a rapidement perdu connaissance quand un de ses ravisseurs a appuyé un drôle de cristal blanc sur son front.

 

 

Kowalski

La police a frappé à toutes les portes des voisins en quête de témoins oculaires et, plus tard, dans la soirée, deux agents en civil sont sortis d’un VAN noir et ont sonné à la maison en face de celle des Kartman, de l’autre côté de la rue ; la seule demeure où personne n’a ouvert à la police. Et c’est un Georges Kowalski hirsute qui  a entrouvert sa porte en demandant ce qu’on pouvait bien lui vouloir à pareille heure. Il était vingt-trois heures. À la vue des insignes des deux inspecteurs en civil, il a ouvert en grand et les a invités à entrer. Renfrogné et contrarié par cette intrusion impromptue, Kowalski a demandé : «  C’est quoi tout ce tintouin ? Il se passe quoi chez les Kartman ?

— Avez-vous vu quelque chose d’anormal dans la rue ces dernières vingt-quatre heures ?

— Euh… Non… Non. » Georges a répondu en détournant le regard. Ce qui n’a pas échappé aux deux inspecteurs.

— Monsieur Kowalski… Il est de votre devoir de citoyen  et dans votre intérêt de répondre avec franchise et de ne pas mentir. Un mensonge pourrait être considéré comme un crime, une entrave à une enquête. Vous comprenez ?

— Je comprends… Mais je ne mens pas vraiment quand je prétends n’avoir rien vu.

— Expliquez-vous.

— Ben… J’ai bien vu quelque chose de bizarre ce matin… Mais ça devait être une hallucination, sinon, ce n’est pas possible.

— Racontez toujours, on vous dira ce qu’on en pense.

— Ok… Mais je ne suis pas dingue, il faut que vous en soyez persuadé… Et je ne prends pas de drogue !

— Ok. Ok. On vous écoute.

— Ce matin, j’ai vu Kartman sortir de chez lui comme tous les matins. C’est un brave type vous savez ? Il est bricoleur et toujours prêt à filer un coup de main quand on en a besoin. Et sa femme est très gentille. Elle fait des gâteaux sensass ! On a eu l’occasion de faire des barbecues ensemble et c’était génial. Et puis…

— Et puis quoi ?

— Ma Beverly est partie d’un cancer du pancréas et moi je ne m’en suis pas remis. J’ai été mis à la retraite anticipée et j’ai commencé à m’intéresser aux choses surnaturelles, aux anciennes civilisations et aux OVNIS. C’est devenu une vraie passion. Ils existent, vous êtes au courant ? Non ? Enfin, bref, j’ai voulu partager ça avec John. Et vous savez ce qu’il m’a répondu ? Que tout ça, ce ne sont que des conneries pour des gens malheureux en quête de merveilleux… » Georges prend à nouveau un air renfrogné et marmonne des choses inaudibles.

— Et donc ?

— Et donc, je lui ai dit qu’il était idiot et qu’il pouvait bien aller se faire foutre ! Voilà ! J’ai tout gâché ! Ben… Après ça… On ne s’est plus revu. Pas vraiment. Un petit signe en s’apercevant, c’est tout. J’étais tellement honteux de lui avoir dit ça… Et blessé aussi ! Vous comprenez ?

— Oui. Je comprends. Et qu’avez-vous vu hier matin ?

— Ce que j’ai vu… Difficile à avouer… Bon… J’ai vu une soucoupe volante se déplacer à cinquante centimètres au-dessus du sol dans la rue ! Voilà ce que j’ai vu ! Et elle s’est arrêtée devant l’entrée des Kartman. Et quatre aliens en sont sortis, ils ont empoigné John et l’ont forcé à entré dans leur engin. Ceci fait, la soucoupe est repartie en filant dans la rue. »

Georges Kowalski transpire et scrute les visages des inspecteurs, guettant le moindre signe d’amusement ou le début d’un sourire. Mais les agents n’ont pas envie de sourire. «  Monsieur Kowalski. J’ai un peu de mal à vous suivre… Vous dites que vous croyez à l’existence des OVNIS, et quand vous en voyez un, même si cela paraît pour le moins étrange, vous parlez d’hallucination. Pourquoi ?

— Ben… C’est que… Oh et puis merde ! Venez avec moi dans le salon. J’y ai mon PC. La scène a été filmée par ma caméra de surveillance. C’est très net et en couleur. Vous verrez que je n’ai pas menti… »

Les inspecteurs emboîtent le pas à Georges qui s’installe à son bureau dans son salon. Il parcourt l’écran plat de son PC à l’aide de sa souris sans fil et clique deux fois sur un répertoire intitulé « Mystère ». Le répertoire donne accès à un fichier vidéo au format AVI qu’ouvre Georges. À l’écran, l’enregistrement démarre et on distingue très nettement John Kartman en peignoir ; il a l’air heureux. Il se baisse pour ramasser son journal et en se relevant, il tourne la tête vers la gauche et semble amusé par quelque chose qu’il suit du regard. Apparaît aussitôt une zone floue sur la droite de l’image. Cette zone indéfinissable se déplace lentement vers la gauche, ralentit et stoppe devant l’entrée des voisins de Georges. On voit quatre autres formes floues se détacher de la première et se diriger rapidement vers John. Ce dernier lâche son journal et semble être entraîné par les quatre silhouettes informes dans la nébuleuse arrêtée. John Kartman disparaît littéralement de l’image comme absorbé par la forme floue. Une des silhouettes semble s’attarder un instant devant la maison  puis disparaît comme les autres dans la forme stationnée.

Enfin, la masse indéfinie redémarre et disparaît par la gauche de l’écran.

Georges lance un regard inquiet en direction des policiers. L’un d’eux sort son mobile et parle à voix basse. La communication est courte.

« Vous voyez ? Ce n’est pas ce que j’ai vu, mais il y avait bien quelque chose. Et ce n’était pas naturel !

— Oui… Pourquoi ne pas être intervenu ?

— Je ne pouvais pas… J’étais comme hypnotisé, paralysé. J’ai assisté à l’enlèvement sans pouvoir parler ni bouger et quand j’ai repris mes esprits, j’étais allongé sur mon lit. J’ai dormi toute la journée. Je me suis réveillé vers vingt-deux heures. Je visualisais la vidéo quand vous avez sonné  à ma porte.

— Ok. Cet enregistrement a-t-il fait l’objet de copies ?

— Non, mais je pensais le mettre en ligne sur mon site personnel !

— Il n’en est pas question. Monsieur Kowalski, vous avez été témoin d’un crime et vous allez devoir nous suivre. Nous allons réquisitionner l’ensemble de votre matériel informatique, ainsi que votre téléphone portable. Veuillez me montrer votre site personnel, s’il vous plaît, monsieur Kowalski. Et j’espère pour vous que la vidéo ne s’y trouve pas…

— Ben… En fait, elle est déjà en ligne… Désolé, je ne pouvais pas savoir que ça poserait problème. Vous pouvez comprendre ça, non ?

— Bon sang Kowalski ! Retirez-là immédiatement ! Allez ! »

La porte de l’entrée retentit et toute une équipe de gars et de femmes envahissent la maison de Georges. Un costaud le soulève doucement mais fermement de son fauteuil et un autre agent prend sa place devant l’écran. Il connecte un petit PC portable à l’unité centrale de Georges, pianote rapidement sur le clavier et réalise des copies d’écran. Puis il débranche son portable et introduit une clé USB dans la tour de Georges. Il fait maintenant un petit signe de la main, comme un au-revoir. Il se retourne en souriant : « C’est bon, la vidéo a été enlevée du site. Je l’ai copiée sur mon portable. Les quarante-trois gus qui l’ont visionnée ou enregistrée viennent de perdre leur disque dur et tout ce qui s’y rattache grâce à mon vilain petit virus. Et s’ils ont partagé la vidéo avec des potes, mon joli missile a déjà trouvé les adresses IP et détruit tous les PC ou supports informatiques qui ont reçu la vidéo. Les gens en parleront peut-être, mais personne ne pourra plus jamais la voir. C’est déjà devenu une légende urbaine.

— Bon boulot ! Fouillez toute la baraque et cherchez toutes les clefs USB, les disques externes, les CD et DVD qui s’y trouvent. Je veux une fouille complète et minutieuse. Cet homme a menti à un agent fédéral. Il est en état d’arrestation, alors, ne faites pas dans la dentelle… Kowalski, je ne vais pas vous lire vos droits car au nom de la sécurité des Etats Unis, vous venez de les perdre. Embarquez-le.

— Mais… Mais je n’ai rien fait de mal !

— Cagoule ! Bâillon ! On se dépêche ! Vous, repassez la vidéo sur votre propre PC… Voilà, Stop ! Zoomez… sur la fenêtre de la maison… Robert ! Regarde-moi ce salopard qui s’en prend à cette pauvre femme. Voilà comment elle est morte ! Et Dieu sait où peut bien se trouver Kartman à cette heure ! Qu’est-ce qu’ils veulent ? Ils ne sont pas censés intervenir en ville, Merde !

 

 

 

L’interrogatoire.

 

 

John Kartman ouvre les yeux et grimace car une affreuse migraine palpite dans la partie supérieure de son crâne. Il est maintenu à un fauteuil étrange par des bracelets métalliques brillants qui le maintiennent aux poignets et aux chevilles. Une lumière bleutée baigne le local dans lequel il se trouve. Il croit déceler un léger bourdonnement en basse fréquence. Après avoir douloureusement tourné la tête dans tous les sens afin de prendre connaissance de l’environnement, John constate qu’il est seul dans cette pièce et que la clarté semble émaner du sol, des cloisons et du plafond à la fois. Des alvéoles aux formes curieuses tapissent une des cloisons.

Ses tempes battent au rythme de son cœur et chaque pulsation lui envoie une onde douloureuse derrière le front.

Il essaie de se rappeler comment il est arrivé là, mais un voile épais semble obscurcir sa mémoire. Il se demande s’il n’aurait pas eu un malaise cardiaque ? Un AVC ? Et qu’il serait à l’hôpital ? Mais non, car si tel était le cas, il serait branché à un scope, il aurait un masque à oxygène sur le visage et surtout, il serait allongé dans un lit !

Il se rappelle être sorti pour récupérer son journal et puis… Rien.

Il tente de revivre les derniers moments dont il se souvient quand une voix puissante résonne dans son esprit et le fait sursauter sur le fauteuil.

— John Kartman ! Ou plutôt… Paul Kent, devrais-je dire. Nous avons eu bien du mal à vous retrouver… Comment allez-vous ? Êtes-vous bien installé ?

— Qui êtes-vous ?

— Vous n’en avez pas une petite idée, Paul ?

— Je m’appelle John, pas Paul. Vous vous êtes trompé de personne. Et non, je ne sais pas qui vous êtes.

— Année Mille neuf cent cinquante-sept, désert du Nouveau Mexique, près de Roswell… Dix ans plus tôt, un appareil inconnu  est tombé au sol. Des survivants. Et tout disparaît comme par enchantement. Et vous, Paul, vous intervenez en cinquante-sept. Votre gouvernement vous donne carte blanche pour apprendre le maximum possible sur l’appareil, ses occupants et tout ce que vous avez pu récupérer.

— Je vous répète que je m’appelle John. J’ai effectivement été affecté à la zone 51 à cette époque, mais je n’y ai rien vu d’étrange. J’étais à la logistique. J’y suis resté douze ans.

— Vous n’avez rien vu ? Alors, pourquoi avoir changé d’identité, Paul ? Paul Kent disparaît après son affectation au Nouveau Mexique.

— C’est du grand n’importe quoi ! Vous n’avez pas le droit de me retenir contre mon gré ! Libérez-moi !

— Non Paul. Vous ne serez pas libre tant que vous ne nous aurez pas dit ce que l’on veut savoir.

— Comment voulez-vous que je réponde alors que je ne suis pas celui que vous cherchez ?

— Ce petit jeu devient lassant Paul. Et pour qu’il cesse, je vais projeter des images sur le mur en face de vous. Nous reprendrons notre discussion ensuite. »

 

La fréquence cardiaque de Kartman augmente et la douleur dans son crâne s’amplifie. La cloison en face de lui s’éclaircit davantage et des images apparaissent. Il se voit bien plus jeune dans une combinaison scaphandre en caoutchouc à manipuler différents objets dans un hangar. Plus loin derrière lui, au sol, repose une épave métallique irisée de ce qui ressemble à un aéronef qui a dû être circulaire. Il se voit tourner la tête et approcher de l’origine des images. Il soulève l’enregistreur et apparaît très nettement son badge sur lequel est écrit Paul Kent sous la photo d’identité.

La voix reprend : « Bien. Cela vous suffit-il ? Pouvons-nous échanger sérieusement, maintenant ?

— Comment est-ce possible ?

— Voyez-vous, Paul, lorsque vous et vos semblables avez manipulé ces objets qui vous étaient inconnus, vous avez activé un enregistreur-émetteur. Ce qui nous a permis de localiser l’appareil crashé et de faire votre connaissance. Avant cela, nous ignorions ce qu’il était advenu de la navette et sur quelle planète elle pouvait bien se trouver. Nous vous avons cherché, Paul. Pendant un bon moment. Mais vous aviez changé d’identité.

— Et comment m’avez-vous retrouvé ?

— La tombe de vos parents. Toutes ces années sans venir vous y recueillir, et la semaine dernière, vous vous y êtes rendu pour y déposer des fleurs. On vous a repéré et suivi jusqu’à chez vous.  C’est une bonne chose que vous vous soyez souvenu de vos parents. Et, au fait, qu’est-ce qui vous a poussé à les retrouver ?

— Mon anniversaire… Quatre-vingt-deux ans. J’imagine que je n’irai plus très loin et toutes ces années à me faire passer pour mort. Je pense que ça a dû être une terrible souffrance pour eux quand une délégation de l’US Air Force est venue frapper à leur porte pour leur annoncer que leur fils unique avait péri dans le crash d’un avion de chasse. Aucun reste, juste le drapeau national plié et une médaille en chocolat pour le mérite… Chaque année, le jour de mon anniversaire, je revoyais ma mère cuisiner un gros gâteau à la crème et mon père qui s’ingéniait à cacher mon cadeau dans un emballage excentrique et difforme pour que je ne puisse deviner ce qui m’était offert… Je suis allé me recueillir sur leur tombe pour leur demander pardon, leur expliquer que je n’avais pas eu le choix. Je devais le faire avant de ne plus en être capable.

— Je comprends…

— Ça m’étonnerait. J’imagine que vous êtes de la même espèce que ceux du crash de Roswell ? Bien plus petits que moi avec une grosse tête et des grands yeux en amande ?

— Pas du tout ! Nous sommes bien différents. Plus proches des humains.

— Pourquoi ne pas venir à ma rencontre ? Avez-vous peur de moi ? Est-ce pour cette raison que je suis attaché ? »

Subitement, les bracelets qui relient Kartman au fauteuil s’ouvrent simultanément et un être étrange traverse la cloison de droite et entre dans le local. La créature est bien plus grande qu’un homme ; son corps est musclé, épais, de couleur bleuâtre et son crâne est allongé à l’arrière. Le visage de l’alien est quasi humain bien qu’étroit, comme sa bouche. Ses vêtements ressemblent à ce que portent les hommes sur Terre.

L’alien semble sourire et écarte les bras comme pour attirer le regard sur son apparence : « Alors ? Satisfait ? Pensez-vous que je puisse avoir peur de vous ? »

La voix de l’inconnu n’est pas du tout la même que celle qui résonnait dans l’esprit de John. Elle est bien plus puissante et caverneuse. La migraine a subitement disparu.

John se masse les poignes marqués par les bracelets : « Non. Je ne crois pas. Vous êtes bien plus fort et semblez plus jeune que moi.

— Je suis effectivement plus fort ; mais je suis bien plus vieux que vous, si on compte en années terrestres. Vous étiez attaché pour votre sécurité.

— Si vous le dites ! J’ignore toujours ce que vous me voulez.

— C’est en rapport avec la navette tombée dans le désert.

— Ça, je m’en doutais un peu…

— Oui… À cette époque, il y avait un grave conflit entre le peuple de ceux que vous avez trouvés à Roswell et le mien. Les êtres qui ont maladroitement atterri chez vous étaient des fuyards. Des criminels de guerre. Ils se sont enfuis quand ils ont compris que leur cause était perdue et qu’ils devraient rendre des comptes devant mon peuple. Et ceux que vous avez secourus se sont bien gardé de vous le dire.

— J’ignore ce que sont devenus les deux survivants.

— Ce n’est pas ce qui nous intéresse, Paul.

— Et qu’est ce donc ?

— Un objet qui devait se trouver à l’intérieur de la navette. Un objet important.

— Tout est stocké dans la zone 51.

— Pas tout Paul. Pas tout. Et vous le savez très bien.

— Non. Je suis franc. Pour moi, tous les artefacts retrouvés sont archivés dans les sous sols de la base. Où voulez-vous qu’ils soient ? Tout est classé au maximum du secret. Même le président des Etats Unis ignore leur existence ; Seuls quelques membres d’une agence sont autorisés à le savoir.

— Nous avons des infiltrés à Roswell. Ils ont mis la  main sur vos comptes rendus. Nous savons qu’ils vous ont confié un objet de forme cylindrique en métal brillant, compact et lourd. Le niez-vous ?

— Euh… Peut-être.

— C’est ça… Et que vous ont-ils dit au sujet de l’objet ?

— Ils m’ont prévenu que c’était une arme très dangereuse, un peu comme l’équivalent d’une mine. Qu’on ne pouvait pas l’étudier et que toute tentative pour l’analyser ou l’ouvrir la déclencherait et engendrerait des conséquences cataclysmiques sur Terre. L’extinction de toute forme de vie à la surface du globe.

— Et vous les avez crus ? Cet objet est en réalité une unité de stockage. Elle contient des éléments en relation avec la guerre qui nous a opposés. Des preuves que certains membres de nos dirigeants ont trahi et aidé nos ennemis durant le conflit pour affaiblir notre guide suprême et prendre sa place. Il n’est pas impossible que les combats reprennent un jour si ces traîtres manœuvrent encore et manipulent discrètement nos adversaires.

— Qu’est-ce qui me prouve qu’il s’agit-là de la véritable raison qui vous pousse à récupérer cet objet ? Et si vous vouliez le récupérer pour effacer l’humanité ?

— Pourquoi ferions-nous ça ? Nous sommes auprès des humains depuis des millénaires. Nous les avons toujours aidés dans leur évolution. Ne soyez pas stupide ni paranoïaque.

— J’ignore où se trouve ce fichu cylindre. Je ne me rappelle même pas l’avoir eu entre les mains.

— Aimez-vous vos enfants Paul ?

— Oh ! Des menaces ! On s’éloigne brutalement des sentiers battus de la courtoisie et de l’honneur !

— Ne vous méprenez pas ! Je vous ai dit cela car j’ai moi-même des enfants auxquels je tiens et j’essaie de vous faire comprendre que je veux leur éviter de vivre une guerre atroce comme celle que nous avons déjà menée. Comparées à ce conflit, vos guerres à vous, même mondiales sont bien moins meurtrières. La nôtre s’est étendue à plusieurs planètes dans différentes galaxies. Elle a débuté il y a de cela une cinquantaine de milliers de vos années. Certains combats ont même eu lieu sur Terre.

— Vraiment ? On le saurait, non ?

— Apprenez à lire le Sanskrit et étudiez les anciens textes et vous le découvrirez. »

 

John prend une profonde inspiration, secoue la tête de gauche à droite et soupire : «  J’ignore ce qu’est devenu l’objet en question. Je veux rentrer chez moi. Mon épouse doit être morte d’inquiétude…

— Ne vous en faites pas pour elle. Pendant que vous admiriez une Buick Sedanette, elle se demandait pourquoi vous partiez avec un marchand de glace. Pas de quoi être effrayée.

— Comment faites-vous ça ?

— Vous ne pourriez pas comprendre… Et vous ne repartirez chez vous que quand vous m’aurez avoué où se trouve l’unité de stockage que vous avez pris pour une arme dangereuse.

— Nous ne savions pas quoi en faire. La décision devait être prise bien plus haut qu’à mon échelon. Il fallait le protéger et nous protéger. Je l’ai enfermé dans un tube en plomb qui a été scelle avec la mention « DANGER », ensuite, je l’ai rangé dans un carton et tous les artefacts sont partis dans le sous sol. C’est tout ce que je sais.

— Paul… Ou John, comme vous voulez. Je sais que ce n’est pas la vérité. D’après mes sources, vous avez consigné que « Suite aux ordres reçus, le tube a été offert là où il reposera pour l’éternité loin des hommes, en toute tranquillité.»

— J’ai écrit ce que l’on m’a rapporté. J’ignore ce que cela veut dire. Vous perdez votre temps.

— L’enjeu est important. Des milliards de vies sont en danger. » L’alien saisit John à la gorge et le regarde droit dans les yeux. « Je veux la vérité !

— Je… Je n’y peux rien. Je n’ai pas la réponse à votre question et… Et… Oh, non… »

John a ressenti une violente douleur dans la poitrine et rapidement, elle irradie en direction de sa mâchoire et de son bras gauche. Son dernier mot avant de rendre l’âme est « Mary… »

 

 

1969, le 20 juillet.

 

Relayée en mondovision, la mission Apollo onze se pose sur la Lune. Neil Armstrong  descend du module lunaire, bientôt suivi par Buzz Aldrin. La mission est un extraordinaire succès ! L’humanité n’en croit pas ses yeux et l’exploit des américains est reconnu et salué par tous. Les USA remportent le leadership de la conquête spatiale !

Ce que les gens ignorent, c’est que tout n’a pas été filmé. Là où les conspirationnistes ont raison, c’est que ce qui a été enregistré par la caméra est bien une mise en scène ; mais là où ils ont tort, c’est que ça a bien été filmé à la surface de la Lune. Ce que la mondovision ne montre pas, c’est qu’un peu plus tôt, Neil Armstrong sort du module avec un drôle d’objet difforme dans les mains, qui ressemble à une vulgaire pierre.  Et Armstrong parcourt un long chemin pour déposer son « paquet cadeau » au milieu d’un amas de roches lunaires. Dans la mer de la tranquillité.

Un petit pas pour lui, une grande protection pour l’humanité.

Allez savoir ce que ce paquet difforme pouvait bien cacher…

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