L’ARCHER MAUDIT

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L'ARCHER MAUDIT
NOUVELLE FANTASTIQUE

L’ARCHER MAUDIT

 

 

 

L’Enfer est pavé de bonnes intentions…

 

 

 

La douleur est une compagne tyrannique, cruelle, pressante et accaparante. Je baigne en son sein si possessif, au fond de mon lit d’hôpital, raccordé à des flacons suspendus à une potence et à un scope qui prouve que mon cœur bat toujours à travers des bips déprimants.

 

La douleur qui me taraude est un avant-goût de l’Enfer, omni présente, féroce et parcourant comme une folle mon corps tout entier. Elle se pare de nombreuses facettes, dans mes muscles, mes os, mes tendons, mon crâne. Elle ne laisse aucune partie de ma pauvre carcasse vierge de son horrible caresse. Même ma respiration m’envoie des ondes douloureuses dans ma tête.

 

Rien n’a pu en venir à bout; ni les opiacés, ni les autres substances qui normalement endormiraient un bœuf. Je reste conscient; en permanence. Conscient de ces vagues qui parcourent mon corps, le torturent et l’obligent à se contorsionner dans tous les sens pour tenter d’atténuer ces assauts qui reviennent sans cesse à la charge. Je suis dans cet état depuis trois mois; et depuis trois mois, il n’y a pas eu de marée basse; au contraire, les vagues n’ont fait qu’enfler, pour s’abattre rapidement en d’énormes déferlantes et harceler encore et encore la totalité de mon être. Je passe mes nuits et mes jours à hurler sans qu’aucun son ne puisse sortir de ma gorge; mes cordes vocales ont trop morflé. Les brûlures irradient dans tous les sens en un feu que rien ne paraît pouvoir éteindre.

 

Les médecins n’y comprennent rien, en perdent leur latin comme on dit. Ils ne m’ont pas cru; ils m’ont pris du sang, de la moelle osseuse dans le sternum et les crêtes iliaques. Je suis passé au scanner, à l’IRM. Ils n’ont rien trouvé; pas de bactérie, aucun virus, rien. Je les avais prévenus…

 

 

Un peu plus de trois mois plus tôt, j’étais chez moi, en pleine forme, en pleine possession de mes moyens.

Je m’adonnais à ma passion, le tir à l’arc.

J’habite en Bretagne dans un bourg non loin de Brest, ma maison se trouve à la lisière des habitations et le fond de mon jardin, délimité par un talus, donne sur une prairie située après un chemin et un autre talus.

 

J’ai commencé à pratiquer le tir à l’arc dix ans plus tôt par le tir en salle avec un arc classique; entendez par là un arc démontable composé d’une poignée métallique et deux branches amovibles et un viseur. A un moment, j’ai même agrémenté cet arc d’une stabilisation, prêtant l’oreille aux sirènes de l’élitisme et de la mode technique, pensant que ça me permettrait d’améliorer mes scores en compétition. Ça n’a pas duré longtemps; j’ai rapidement enlevé le viseur pour tirer en « barebow », les deux yeux ouverts et quelques mois plus tard, je revendais tout cet attirail pour acquérir un arc droit: un « longbow », un arc fait d’une pièce en bois. Bien plus léger et permettant le tir instinctif que beaucoup contestent.

J’ai appris à fabriquer mes flèches moi-même et j’ai découvert le tir extérieur à travers le 3D et le Nature, dans les bois. Ça a été une révélation ! Alors qu’en salle, vous tirez toujours à dix-huit mètres de votre cible, au coup de sifflet, dans les bois, votre cible se trouve à une distance inconnue, entre cinq et trente mètres de votre pas de tir et vous ne découvrez la cible qu’au moment de tirer. Le 3D consiste à tirer sur des reproductions réalistes d’animaux en mousse. Le tir nature vous propose des posters animaliers plaqués contre des plans en mousse dense verticaux. Les cibles sont nombreuses et variées et c’est un réel plaisir de parcourir les bois sur une dizaine de kilomètres dans un peloton de quatre ou cinq archers.

Ma préférence va au 3D qui ressemble à un exercice de chasse sans tuer aucun animal; ce qui me va très bien, n’étant pas chasseur et répugnant à tuer quoi que ce soit.

 

Au fil du temps, je me suis amélioré; dans ma technique de tir bien sûr, mais aussi dans le choix de mes flèches.

Et puis un jour, je me suis décidé à acheter des cibles 3D pour les poser dans mon jardin, face au talus afin de pouvoir m’entraîner plus souvent et facilement. Ainsi, un Lynx, une biche et un blaireau se disputent le bord de mon talus…

 

 

Quand c’est arrivé, c’était début juillet et il faisait déjà bien chaud. Vers onze heures, j’ai sorti mon arc et j’ai commencé à m’entraîner dans le jardin. Ça rentrait bien, à peu près là où je souhaitais que mes flèches arrivent. J’étais tellement content de moi que j’ai enchaîné les volées les unes après les autres à différentes distances sous différents angles. Je n’ai pas senti la fatigue arriver. J’aurais dû m’arrêter là.

Quand cette fois-là j’ai tiré sur la corde pour amener mon index à la commissure de mes lèvres, j’ai senti que mon bras qui tenait l’arc commençait à tétaniser et qu’il ne pourrait plus rester bien longtemps en tension. Je n’ai pas eu le temps d’affiner ma visée; la flèche est partie en m’échappant quelque peu. Je l’ai vue rebondir sur le dos du Lynx et disparaître par delà le talus, dans la prairie.

J’ai lâché un grand soupir car les flèches ont une fâcheuse tendance à s’enterrer et ce n’est pas évident de les retrouver.

Je suis alors sorti de chez moi en sifflotant; j’ai contourné mon jardin et j’ai franchi un talus pour entrer dans le champ où ma flèche avait fini sa course.

En atterrissant de l’autre côté du talus, j’ai été surpris de découvrir que des caravanes s’étaient installées dans le champ. Sans doute étaient-elles arrivées dans la nuit. La veille, il n’y avait personne. De grosses berlines étaient garées un peu plus loin.

Et j’ai aperçu un jeune garçon d’une dizaine d’années qui se tenait à une trentaine de mètres de moi, sur l’herbe. Il était blond et avait les cheveux un peu longs, il portait une salopette bleue en jean avec un motif coloré au niveau de la poitrine et des baskets blanches. Il tenait un ballon dans ses mains.

Il affichait un regard d’étonnement. A ce moment là, je me suis dit qu’il ne s’attendait pas à me voir débouler dans le champ et qu’il avait été surpris.

 

J’ai avancé de quelques pas en le rassurant d’un signe de la main et d’un : « Salut bonhomme ! J’habite à côté et… »

 

Le ballon a glissé de ses mains et il est tombé à terre. Il a faiblement rebondi sur place. Le garçon semblait comme figé, affichant toujours son air étonné. Il s’est doucement laissé tomber à genoux et alors que je m’approchais de lui, j’ai senti mon cœur s’emballer et en même temps la panique m’envahir. Ce que j’avais pris de loin pour une décoration de la salopette était en fait l’empennage jaune et rouge de ma flèche. Quand j’ai réalisé ça, un grand frisson m’a parcouru l’échine et mes tempes se sont mises à battre très fort. J’ai commencé à courir en secouant la tête de gauche à droite. Je ne voulais pas y croire, je voulais que ce ne soit pas vrai, de toutes mes forces comme si ça pouvait avoir une influence sur la réalité. Peut-être avais-je mal vu ?

 

Le temps que j’arrive près de lui en courant, le garçonnet est tombé sur le côté. Inerte, mort.

Le garçon était transpercé de part en part au niveau de la cage thoracique. En plein cœur.

Je me suis agenouillé près de lui et le temps s’est arrêté pour moi… J’ai voulu nier la situation. J’ai cessé de penser. Ne pouvant détacher mon regard de ce si joli petit visage figé dans la mort. La faible brise faisait danser ses mèches blondes sur sa tête. J’aurais voulu crier, mais je ne pouvais pas.

 

Quand les gens sont arrivés, je pleurais toutes les larmes de mon corps, à genoux, la tête baissée, les mains sur mes cuisses. Tout ce que j’arrivais à dire, c’était : « Noon ! Mon Dieu ! Noon ! » Je gardais les yeux fermés pour ne plus voir le cadavre de l’enfant que je venais de tuer ni le regard des gens qui arrivaient, alertés. Je fermais les yeux comme ces enfants qui se réfugient dans le sommeil pour échapper à une existence difficile.

 

Il y a eu des cris. Des cris de femmes, d’hommes. Et toute une population s’est attroupée autour de l’enfant qui gisait à terre, anéanti par une transfixion mortelle dont j’étais l’auteur.

Une voix de femme a couvert toutes les autres, elle hurlait son horreur, sa douleur. Ce devait être la mère de la petite victime. J’ai compris qu’elle s’agenouillait près de moi.

Un homme s’est approché. Il s’est agenouillé à son tour. Je gardais les yeux fermés mais j’entendais sa respiration et sentais son odeur boisée. D’une voix douce et troublée, il m’a parlé : Je suis Gino, le chef du clan… Que s’est-il passé ?

 

_ Je l’ai tué… Mon Dieu… J’ai tué un enfant…

 

_ C’est toi ? Comment c’est arrivé ?

 

_ Ma flèche a rebondi sur le dos de la cible et elle est partie tout droit dans le champ. J’ignorais votre présence. Hier, il n’y avait personne dans la prairie… J’ai tué un enfant… Mon Dieu… Comment est-ce possible ? C’est un accident, mais je l’ai tué… Je ne mérite plus de vivre; pas après ça.

 

_ C’est toi qui as envoyé la flèche ?

 

_ Oui… Je suis l’assassin du petit garçon. Vous pouvez mettre fin à mes jours… Je ne bougerai pas… Tuez-moi… Je ne pourrai pas vivre avec ça sur la conscience de toute façon. Vous comprenez ?

 

L’homme s’est relevé et s’est adressé à l’attroupement dans une langue que j’ignore et aussitôt, la femme qui pleurait près de moi s’est mise à me frapper en hurlant sa rage. Je n’ai pas bougé. J’ai gardé les yeux fermés et subi ses coups sans broncher. J’espérais qu’elle arrive par ses coups à mettre un terme à mon existence. Je voulais vraiment mourir.

Malgré mes yeux fermés, je voyais encore le petit corps recroquevillé sur l’herbe, avec ma flèche à travers son cœur. Je n’arrivais pas à m’en débarrasser. La vision de la scène m’obsédait en permanence.

Des gens sont intervenus pour s’emparer de la mère de l’enfant et la raccompagner dans sa caravane. Les autres conversaient dans leur langue maternelle.

 

Quand les gendarmes sont arrivés au bout de ce qui m’a paru durer une éternité, j’étais toujours à genoux, les yeux fermés, prostré près de l’enfant. Ils m’ont interrogé et je leur ai expliqué comment le drame s’était produit. Ils m’ont emmené dans leur véhicule où j’ai rouvert les yeux. Le chef du clan nous accompagnait. Les pompiers ont enlevé le corps du petit malheureux.

 

A la brigade de gendarmerie, j’ai fait ma déposition en répétant au brigadier comment le drame avait pu se produire. Gino a fait la sienne de son côté.

Les gendarmes ont retenu la thèse de l’accident et au bout de deux heures, j’étais libre de rentrer chez moi. L’affaire serait jugée plus tard. J’ai regardé Gino, m’attendant à des protestations de sa part. Il n’a rien dit; il ne semblait pas ressentir de la colère. C’est donc moi qui me suis adressé au chef de la brigade : Comment puis-être libre après avoir tué un enfant innocent ?

Le capitaine a paru surpris.  » Eh bien, comme il s’agit d’un regrettable accident, que vous ignoriez la présence du campement dans le champ, que votre casier est vierge, vous êtes libre en attendant votre comparution devant le juge. Vous recevrez une convocation par courrier »

 

_ Mais… Mais l’enfant est mort par ma faute !

 

_ Oui. Mais ce n’était pas intentionnel et vous ne pouviez le prévoir.

 

J’ai quitté la gendarmerie en même temps que Gino.

 

_ Vous pensez quoi de tout ça Gino ?

 

_  C’est un accident. Vous ne pouviez pas savoir qu’on était là. Vous n’êtes pas une mauvaise personne. Ça se voit.

 

_ Il était de votre famille le garçon?

 

_ Mon neveu.

 

_ Et vous ne souhaitez pas ma mort ?

 

_ Non.

 

_ Pourquoi ? J’ai tué l’un des vôtres ! Un enfant ! Moi je la souhaite. Ce que j’ai fait me fait trop souffrir moralement. Je ne pourrai pas le supporter. Il n’y aura pas de procès…

 

_ Je comprends ce que vous ressentez mais rien de ce que vous pourrez faire ne ramènera l’enfant à la vie. C’était un accident. Vous n’avez jamais voulu ça. Je le sais, je l’ai compris. Tout le monde l’a compris.

 

_ Peut-être… En attendant, je sais parfaitement que je ne pourrai plus jamais me regarder dans un miroir sans y voir un assassin d’enfant. Vous supporteriez ça, vous ? Je suis sûr que non. Je suis sincèrement désolé d’avoir pris sa vie, tellement désolé. Mon Dieu, comment ai-je pu faire une chose aussi abominable ? Comment ? J’ai toujours en tête la vision de son corps sur l’herbe, son regard étonné avant qu’il ne tombe mort et ma flèche dans son cœur… Non. Je ne pourrai pas supporter ça…

 

Gino a froncé les sourcils et m’a invité à le suivre; il m’a dit qu’il avait quelqu’un à me présenter au camp.

Il a passé un coup de fil de son portable et on est venu nous chercher.

Dans la Mercédès, je restais muet et des larmes coulaient le long de mes joues, je ne pouvais réprimer mes sanglots et je me foutais éperdument qu’on les entende.

 

La berline s’est garée à l’entrée du champ, près des autres véhicules.

Gino m’a invité à entrer dans une petite caravane qui se tenait un peu à l’écart des autres. « Ici, c’est chez notre doyenne. Elle est un peu sorcière et on ne sait pas son âge. Attends un peu dehors, je vais d’abord lui parler… »

Gino est entré sans frapper à la porte. J’ai entendu une douce voix chantante l’accueillir. Gino lui a parlé et il m’a semblé entendre le mot « gadjo ». Il n’y a pas eu de réponse. Gino est réapparu quelques instants plus tard et m’a fait signe d’entrer. Je lui ai demandé comment allait la mère de l’enfant. Il m’a répondu : « Entre ».

Il faisait assez sombre à l’intérieur de la caravane. La vieille femme était assise sur une chaise, elle était accoudée à une table. Ses cheveux étaient blancs et ses yeux brillaient d’une étrange clarté. Ses vêtements étaient très colorés et la caravane était emplie d’objets liés à la chrétienté et au culte de la Vierge Marie.

 

_ Entre ! N’aie pas peur…

 

_ Je n’ai pas peur.

 

_ Assieds-toi face à moi… Voilà. Gino me dit que c’est toi qui as tué le petit.

 

_ Oui. C’est moi qui l’ai tué.

 

_ Et tu veux mourir.

 

_ Oui. Je ne supporte pas d’avoir tué le petit. C’est trop douloureux. Trop affreux. Je ne mérite pas de vivre.

 

_ Crois-tu souffrir davantage que sa mère ?

 

_ Je l’ignore. Je connais ma douleur, pas la sienne. Et je suis responsable de la mort de son fils; pas elle.

 

_ Tout le monde sait que c’était un accident. Pourquoi vouloir mourir si personne ici ne souhaite ta mort ?

 

_ Parce que je sais que je ne supporterai pas de vivre… Pas après ça. La douleur morale est trop forte… Bien trop forte.

 

_ Approche…Approche-toi de moi… Encore plus près.

 

Je me suis approché d’elle et quand j’ai été assez près, elle a alors prononcé des paroles incompréhensibles pour moi tout en passant son index sur l’arête de mon nez.

 

_ Tu vas oublier ta douleur. Tu peux partir.

 

 

Je suis rentré chez moi. J’ai passé le reste de la journée à pleurer dans mon fauteuil. J’avais en permanence l’image du petit à terre devant moi.

J’ai dû m’endormir vers quatre heures du matin après avoir vidé la moitié d’une bouteille de Scotch. Pour m’anesthésier l’esprit. J’ai dormi comme une pierre.

Le lendemain, au réveil, je me sentais fébrile, comme grippé. Je me suis fait la réflexion qu’une grippe en juillet était peu probable… J’ai avalé deux comprimés de paracétamol sans que mon état ne s’améliore. Et deux jours plus tard, les douleurs sont arrivées, sournoises, petit à petit, comme des vaguelettes au début, venant lécher le rivage… Une semaine plus tard, j’étais admis aux urgences de l’hôpital, hurlant de douleur sur mon brancard.

 

Et l’Enfer a commencé à s’installer dans mon corps tout entier. Je crois que la douleur m’a fait délirer à deux ou trois reprises. Durant ces périodes, je voyais la vieille femme aux cheveux blancs entrer dans ma chambre la nuit et se pencher sur moi. Elle parlait d’abord dans un langage étrange et finissait par me dire : « Pas encore… Ce n’est pas encore fini… » Et elle disparaissait.

Et la dernière fois, elle m’a dit :  » Bientôt… C’est bientôt fini… »

 

Les infirmières du service ont pris l’habitude d’ouvrir les fenêtres quand elles entrent dans ma chambre. Elles sentent toutes très fort la lavande. Je pense qu’elles en aspergent leur blouse pour saturer leurs récepteurs olfactifs. Je crois bien que je pue la mort…

 

Ce matin, quand les infirmières sont entrées dans ma chambre pour me laver, après avoir ouvert les fenêtres en grand,  j’ai entraperçu mon visage dans un miroir et j’ai pris peur. Mes yeux semblent être entrés au tout au fond de leurs orbites et mon visage est devenu si émacié; tellement maigre que je crois bien ressembler à la momie de Ramsès. En plus effrayant.

 

Comme les médecins avaient épuisé tous les ressorts que la médecine moderne tient à leur disposition, ils ont décrété d’un commun accord que l’origine de mon mal était d’ordre psychologique. Ben voyons !

 

Un psychiatre de l’hôpital est venu me voir dans ma chambre après la toilette de ce matin. Un petit bonhomme un peu rondouillard et à la chevelure frisée qui affichait un visage radieux et un regard empli de curiosité. Il sentait fort la lavande lui aussi… Il m’a questionné et je lui ai raconté toute mon histoire, comme je l’avais déjà racontée aux autres médecins.

Il est resté sérieux, a pris des notes et continué à me poser ses questions auxquelles j’ai répondu comme j’ai pu.

Au bout d’un moment, l’homme a semblé satisfait. Il m’a salué en me souhaitant du courage et au moment de franchir la porte, il s’est retourné et a lâché assez fort, comme en colère, agacé : « Tout de même, cette sorcière, c’est une sacrée vieille salope ! Non ? Faut être une putain de garce pour faire souffrir un homme comme ça ! »

 

J’allais lui répondre qu’il ne fallait pas prononcer de telles paroles au sujet de la sorcière quand une infirmière est entrée en me disant que j’avais une visite.

Merde ! J’avais bien dit que je ne voulais pas que qui que ce soit me voie dans cet état ! Un cadavre vivant…

 

Et la vieille femme aux cheveux blancs est apparue dans l’encadrement de la porte. Elle a semblé un instant contrariée puis elle s’est décidée à entrer, toute menue, avec ses longs cheveux blancs descendant dans son dos. Elle m’apparaissait comme dans mes crises de délire. Je la fixais de mes yeux paraissant si grands dans mon visage devenu squelettique.

 

Elle s’est approchée de moi, m’a observé un moment puis a caressé l’arête de mon nez en prononçant des mots dans sa langue ancestrale et a fini par me dire de sa voix douce : « C’est fini. La douleur physique t’a fait oublier la douleur morale. Tu vas pouvoir vivre à nouveau. »

 

Et avant de partir, elle a demandé à l’infirmière comment s’appelait le gentil médecin qui venait de sortir et le chemin le plus court pour se rendre dans son service pour le rencontrer et discuter un peu…