LE PIEGE D’ALPHA CENTAURI
Nous avions quitté la station internationale en juillet 2170 pour découvrir la région de Proxima du Centaure; en quête de planètes vierges à coloniser. Nos propulseurs à plasma et notre champ antimatière à l’avant du vaisseau nous avaient permis d’accélérer de façon exponentielle et graduelle pour atteindre la vitesse de la lumière sans en être incommodés.
Le voyage ne nous avait pas semblé durer trop longtemps et nous étions exaltés à l’idée de découvrir de nouveaux mondes.
Nous avions perçu un signal radio dès notre arrivée près de d’Alpha Centauri. Nous étions en territoire inconnu et cette détection était très étonnante, troublante même !
Le signal provenait d’une exo-planète très prometteuse. Une émission radio répétitive de plusieurs séquences à intervalles irréguliers sur une fréquence anormale. Nous n’arrivions pas à le déchiffrer, il était trop faible pour cela; mais nous étions sûrs qu’il n’était pas naturel. Le son émis semblait contenir des intonations…
Notre escouade a alors été désignée pour repérer la source au sol et déterminer son origine.
La navette nous a déposés sans problème, le temps était clair et la planète ensoleillée nous était apparue hospitalière, accueillante et excitante car nous étions les premiers humains à fouler le sol de ce nouveau monde vierge qui s’offrait à nous avec ses mystères et ses beautés.
L’air était bon à respirer et les plantes distillaient d’agréables fragrances. La température ambiante affichait les vingt-cinq degrés sous cette latitude.
Je dois bien admettre que nous étions assez excités à l’idée de découvrir cette nouvelle Terre. Gonflés à bloc et enthousiastes !
Une fois au sol, au milieu d’une immense plaine, nous nous sommes déployés et la navette est repartie rejoindre le vaisseau. Nos appareils de topographie nous indiquaient la direction à prendre. Nous aivons vérifié le contact avec le vaisseau-mère; tout était OK. La réception était parfaite.
Je me souviens avoir ressenti une curieuse sensation de déjà vu, comme ces fois où vous savez une seconde avant que ça arrive ce qui va se passer… Comme d’habitude, la sensation avait été fugace et vite oubliée.
Le vaisseau-mère nous avait informés que l’émission radio avait repris et que la fréquence des appels avait augmenté.
Nous avions de quoi tenir plusieurs jours grâce à notre équipement d’escouade de débarquement : des tentes, des couchages, des vivres et notre entraînement nous avait préparés à pas mal d’éventualités. Notre armement était assez sommaire; des armes automatiques légères et des armes de poing. En cas de gros problème, on devait appeler la cavalerie en joignant le vaisseau-mère par radio pour nous prêter main forte. C’était le protocole.
Nous nous attendions à découvrir des animaux étranges, des espèces inconnues et variées, mais la plaine était vide et aucun animal ne semblait se trouver parmi les herbes hautes. Aucun volatile dans les airs. Pas d’insectes non plus. La végétation ressemblait fortement à celle présente sur Terre.
Nous nous sommes mis en route et avons progressé en suivant la topographie relevée une heure plus tôt.
Comme la Terre, la planète comptait deux pôles magnétiques, des continents bien verts, des montagnes immenses et de vastes océans profonds; une planète inconnue et magnifique vue de l’espace. Le signal provenait d’un endroit situé à trois kilomètres dans une forêt, sur un pic rocheux.
Une demi-heure plus tard, alors que nous quittions la plaine pour entrer dans le sous-bois, nous avons tous ressenti une vibration; dans l’air et sous nos pieds. Nous nous sommes concertés sur le sujet, un peu décontenancés par le phénomène. Séisme ? Onde de choc ? Nous avons établi à la hâte un camp de base à l’orée de la forêt au cas où nous devrions rester plus longtemps que prévu.
A peine le camp installé, nous connaissions l’enfer ; le sol s’est d’abord remis à trembler puis un bruit épouvantable a retenti et les éléments se sont déchaînés. Cela dépassait l’imagination !
Une gigantesque tornade s’est soudain formée autour de nous ; le camp de base s’est envolé, ainsi que les sept malheureux qui n’ont pas eu le temps et la chance de trouver un abri derrière un rocher ou un arbre auquel s’accrocher. C’est à ce moment-là que nous avons perdu toutes nos communications; et de douze, nous nous sommes retrouvés à cinq.
La tornade a fini par se déplacer et nous avons décidé d’aller nous mettre à l’abri dans la forêt voisine, pensant que là se trouverait notre salut.
A peine en avions-nous franchi l’orée qu’un gigantesque orage se formait, transformant le jour en nuit et nous bombardant de grêlons gros comme des balles de tennis; les éclairs nombreux et puissants zébraient l’atmosphère et le tonnerre assourdissant faisait vibrer nos cages thoraciques. Une tempête de neige, accompagnée d’un blizzard est ensuite venue nous frigorifier. La température a chuté à une vitesse vertigineuse, passant de vingt-cinq degrés à moins dix en quelques minutes. La neige était si drue qu’elle a tout recouvert en quelques instants; on n’y voyait pas à cinq mètres.
Un de nos hommes s’est écroulé, mort; le crâne fracassé par un grêlon. Il fallait continuer à avancer, afin d’entretenir notre chaleur corporelle car nos tenues thermostatiques consomment rapidement leur batterie par un si grand froid.
Nous avons tenté de poursuivre notre chemin à l’aide de notre équipement de topographie qui nous indiquait toujours la direction que nous devions suivre, vers la source du signal. Nous avions de la neige jusqu’aux genoux quand la pluie a commencé à tomber à torrents, cinglante et glacée. On avançait, pliés en deux, en file indienne. La neige est devenue très dure et glissante au sol.
A un moment, j’ai cru percevoir un mouvement flou sur ma gauche, une masse colossale et grise se déplaçant à une vitesse effrayante. Et il y a eu les cris à peine audibles dans la furie ambiante. Et ensuite, j’étais seul à poursuivre une chimère…
J’ai entendu distinctement des craquements loin derrière moi, et tout en courant, je me suis retourné et j’ai alors aperçu au loin la cime des arbres danser dans les airs et disparaître avec violence ; quelque chose d’énorme se rapprochait, quelque chose d’impensable me suivait. Comment fuir une telle abomination ? Impossible.
Je me suis écarté du chemin et j’ai décidé de tenter une ruse en creusant, à l’aide de mon poignard la neige devenue épaisse et dure; de la creuser suffisamment profond et vite pour pouvoir me coucher dans le trou et me recouvrir presque entièrement.
A travers mes lunettes solaires, ce que j’ai vu marcher près de moi, pulvérisant les arbres sur son passage m’a pétrifié d’horreur. Un grondement bas et puissant s’en est échappé, ainsi qu’une odeur épouvantable.
Je suis resté immobile, en espérant passer inaperçu…
Il est vraiment passé très près, si près que j’en ai fermé les yeux, certain que j’allais mourir écrasé et j’ai bien cru à cet instant que mon cœur allait s’arrêter en explosant, tellement il battait fort…
J’ai eu de la chance. Le monstre s’est éloigné en poussant de terribles cris de colère, ravageant tout sur son passage. Comment le décrire ? Gros comme deux éléphants et très grand; marchant sur ses deux pattes arrière, une tête énorme dotée d’une large gueule pourvue de longues dents paraissant acérées et deux grands bras puissants terminés par des mains griffues. Ça n’avait rien d’un reptile ou d’un saurien; un mammifère ? Difficile de se prononcer là-dessus…
J’ai attendu un bon moment, immobile, recouvert de neige; et malgré ma combinaison thermostatique, je claquais des dents et tremblais de tout mon corps. J’ai, avec peine, tellement mes doigts étaient engourdis par le froid, rallumé ma radio en espérant pouvoir joindre le vaisseau, mais aucune communication n’était possible sur aucune fréquence.
Dans cette forêt noire et humide, je me suis traîné douloureusement… Le vent soufflait sa colère à travers les branchages, griffes féroces mouvantes et agressives qui murmuraient leur cruauté comme avides de chair. La pluie glacée ajoutait à mon désespoir, elle m’engourdissait et freinait mes mouvements.
Où étaient-ils passés tous les autres ? Je l’ignorais. Il m’avait semblé entendre plus tôt des cris d’effroi se perdre dans la tourmente derrière moi et cela faisait des heures que j’errais ainsi, courbé, seul au milieu des éléments déchaînés. J’ai appelé à plusieurs reprises et je me suis arrêté pour écouter, mais je dois avouer que je savais bien que j’étais le dernier encore en vie.
Le vent glacial soufflait si fort qu’il était difficile de rester debout et je suis tombé à plusieurs reprises. J’étais en hypothermie et mes forces commençaient à m’abandonner quand j’ai à nouveau ressenti la vibration dans l’air et sur le sol.
Le vent est alors tombé d’un coup et la neige et la pluie ont cessé. Le soleil est réapparu et la température est rapidement remontée à vingt-cinq degrés.
L’hostilité de la nature avais brusquement disparu et j’avais le sentiment d’avoir fait un mauvais rêve, un cauchemar. Mais je n’avais pas rêvé et mes compagnons étaient tous morts. Je les ai retrouvés en rebroussant chemin; morts de froid pour certains, déchiquetés ou écrasés pour les autres. Une horreur…
J’ai repris ma route après avoir vainement tenté de joindre le vaisseau-mère. Ma radio semblait fonctionner pourtant… Peut-être qu’une fois sur le piton rocheux, j’arriverais à capter quelque chose ?
J’ai à nouveau poursuivi mon chemin à travers la forêt et, au bout d’un moment, j’ai entendu des chants d’oiseaux; des insectes ont commencé à fendre l’air en bourdonnant joyeusement et la végétation s’est mise à bruire, investie par d’innombrables créatures de toutes sortes, affairées et bondissant dans tous les sens. Ma présence ne semblait pas les perturber outre mesure. Je trouvais cela bien étonnant; j’étais un extraterrestre pour toutes ces espèces.
Ma tenue séchait et j’appréciais la chaleur qui détendait mes muscles.
J’ai fini par arriver au pied du pic rocheux. Il n’était pas très élevé, trente mètres à vue de nez. Le signal se situait en hauteur. J’ai entamé l’ascension. La progression était facile car les prises étaient nombreuses et bien marquées.
J’ai découvert l’entrée d’une grotte à mi-hauteur; le signal venait de là. J’allais enfin connaître son origine…
En pénétrant dans la grotte, j’ai eu la surprise de trouver au sol un de nos équipements ! Un sac à dos en tous points identique au mien mais usé aux couleurs passées. Plus loin, des chaussures identiques aux miennes, des armes, des emballages comme ceux de nos vivres et un sac de couchage sur lequel reposaient un carnet, un crayon et une radio. L’un de mes compagnons avait-il pu venir se réfugier ici ?
En avançant encore, je me suis figé car j’ai eu la peur de ma vie ! Un homme était tapi contre la paroi un peu plus loin vers le fond de la grotte. Il portait le même uniforme que le mien, mais très défraîchi. Il m’observait de ses grands yeux exorbités. Il semblait être complètement terrifié. Son visage était mangé par la barbe, ses cheveux étaient longs et hirsutes. Curieusement, il me semblait le connaître. Mais ce n’était pas un des membres de mon escouade.
Plus je m’approchais du pauvre bougre et plus il reculait les mains ouvertes devant lui comme s’il voulait garder de la distance avec moi et plus j’avançais, plus il semblait disparaître. Son corps s’estompait, devenait transparent.
Il faisait non de la tête. Je crois bien qu’il devait crier mais aucun son ne sortait de sa bouche. Je ne l’entendais pas.
En observant plus attentivement son visage, j’ai réalisé qu’il me ressemblait beaucoup et… Juste avant qu’il ne disparaisse complètement, j’ai compris, horrifié et pétrifié de stupeur; j’ai réalisé que je m’étais retrouvé, un instant, dans cette grotte, en face de moi-même ! Comment était-ce possible ? Je suis resté un bon moment immobile à scruter l’endroit où se trouvait mon double barbu avant qu’il ne disparaisse.
En parcourant la grotte du regard, j’ai constaté qu’elle était maintenant vide ! Tout avait disparu ! Le sac de couchage, les matériels, les armes ! Il n’y avait plus rien !
J’étais perplexe. Comment aurais-je pu me trouver dans cette grotte alors que je venais d’y entrer pour la première fois ? Impossible !
L’émission radio que nous avions détectée serait-elle finalement la mienne ? Etais-je depuis le début à la poursuite de mon double ? De moi-même ? Par quel phénomène cela pourrait-il se produire ?
Cela avait-il un rapport avec les ondes vibratoires que nous avions ressentis ?
Je me posais toutes sortes de questions et je n’avais pas de réponses.
Pragmatique de nature, j’en suis venu à la conclusion que j’avais dû être victime d’une hallucination. Pas étonnant après ce que j’avais vécu plus tôt dans la tempête; la perte de mes compagnons, le monstre hideux et le froid; sans oublier la perte de connexion avec le vaisseau-mère… Tiens, comme j’étais en hauteur, la connexion serait peut-être possible. J’ai à nouveau tenté de joindre le vaisseau, encore en vain. Pourquoi n’ont-ils pas envoyé une navette pour nous secourir ? Auraient-ils disparu ?
J’ai réalisé que j’étais affamé et que mon sac à dos ne contenait pas grand-chose… Je suis donc redescendu pour refaire le chemin à l’envers, revenir sur mes pas et récupérer tout ce que je pouvais tout le long de la route; de la nourriture des armes, du matériel pour m’installer dans la grotte. Il n’y avait plus aucune trace de neige. J’ai enterré mes compagnons. Du moins, ceux que j’ai pu retrouver…
Je me suis installé dans cette grotte qui offre un abri sûr. De temps à autre, je tentais le contact avec le vaisseau. Il semblait avoir disparu car normalement, il devrait briller dans la nuit, là-haut.
Aujourd’hui, j’ai l’impression que ça fait une éternité que je vis piégé dans cette grotte, sur cette satanée planète ! Je n’ai aucune connexion avec personne; Et Dieu sait que ce n’est pas faute d’essayer ! Je crois que je vais devoir me faire une raison…
Il n’y a plus eu de séisme. Depuis mon arrivée, tout est calme et semble harmonieux. C’est un endroit magnifique et agréable, avec une forêt luxuriante remplie d’espèces extraordinaires, des animaux comme des végétaux qui n’existent pas sur Terre.
Ça grouille de partout ! La vie est d’une grande diversité en ces lieux. Je ne me lasse pas de découvrir chaque jour de nouvelles espèces ! Animales ou végétales. Quelle beauté et quelle variété ! J’ai remarqué que les animaux comme les fleurs sont capables de changer de couleur et d’intensité. C’est incroyable !
Je me nourris de fruits divers et variés qui sont succulents et de plantes qui ressemblent à du taro ou des ignames. Je n’ai pas rencontré de bête agressive; aucun fauve, pas de carnassier. La vie est paisible et sans danger par ici.
Je m’entretiens physiquement, je cours tous les jours à travers la forêt et je me baigne dans la rivière qui se trouve en contrebas. C’est étrange de pouvoir approcher tous ces animaux sans qu’ils ne s’enfuient. C’est grisant.
Ma barbe a considérablement poussé. J’ignore à quoi je peux bien ressembler maintenant.
Parfois, je me demande si je n’ai pas perdu la boule ! La solitude me pèse tellement…
Tous les matins, quand je me réveille, j’ai un moment de flottement durant lequel je ne sais plus où je suis ni ce que je fais là. C’est pour cette raison que j’ai écrit mon histoire dans ce carnet. C’est la preuve que je n’ai pas rêvé tout ça et ça m’aide à ne pas oublier. Parce que je crois que depuis quelques jours, ma mémoire me joue des tours.
Hier soir, j’ai aperçu un point lumineux qui se déplaçait dans le ciel étoilé. Il avançait vite et puis il a ralenti et il s’est finalement arrêté. J’ai bêtement fait un vœu… Je sais que c’est idiot. Mais que voulez-vous ? C’est tout bonnement humain. Non ?
Il y a deux heures, j’ai eu un curieux pressentiment… Et puis, le sol et l’air se sont mis à vibrer, à trambler. Ça m’a rappelé de mauvais souvenirs… Mais je ne sais plus trop lesquels. Ça doit être écrit dans le carnet… Mais j’ai de plus en plus de mal à lire. J’ai l’impression de me vider, de perdre consistance. C’est affreux. J’ai rallumé ma radio, presque par automatisme, sans plus trop savoir quoi dire.
Le ciel s’est assombri. Il y a eu des éclairs et de la grêle. Le vent souffle très fort et il neige en ce moment. Que se passe-t-il ? J’entends une bête pousser des cris terribles. Je me suis réfugié au fond de la grotte. Je ressens de curieuses sensations, des fourmillements partout. J’entends quelqu’un ou quelque chose grimper, approcher. J’ai peur… Oh mon Dieu, comme j’ai peur…